Je me souviens précisément du moment exact. C'était le jour de mon 27e anniversaire. J'étais debout sur une falaise surplombant l'océan, sur l'Isle de Skye, en Écosse. J'ai fermé les yeux, et comme à chaque anniversaire, j'ai pris le temps d'observer le bout de chemin parcouru jusque là. Les deux pieds sur ce rocher, face au vent, je me sentais à ma place. J'étais partie sillonner l'Europe pendant 2 mois avec mon amoureux. Une petite tente 2 places accrochée à nos gros sacs à dos, du grand air et de la liberté à profusion. C'était le 3e été d'affilée où l’on partait vagabonder, revenant quelques jours à peine avant notre rentrée scolaire d'enseignants. Ces voyages me nourrissaient et me remplissaient le cœur. J'avais une soif insatiable de découvertes, d'aventures, de rencontres et d'émerveillement. Mais ce jour-là, sur la falaise, j'ai ressenti une curiosité nouvelle. L'appel d'une destination inconnue, d'un endroit que je m'étais promis d'explorer un jour. J'ai senti qu'une place s'ouvrait dans mon cœur et que j'étais prête à la remplir. Que j'étais prête à devenir une maman... Mais ce constat m'effrayait encore un peu... C'est un projet dont on parlait, mon amoureux et moi, depuis un bon moment déjà, mais j'avais toujours l'impression qu'il me restait quelque chose à accomplir avant, un endroit à visiter, une expérience à vivre. Comme si, en devenant parents, on arrêtait un peu d'être vivants. Comme si c'était la fin de quelque chose. En fait, j'avais surtout peur qu'en devenant parents, on soit contraints de rentrer, nous aussi, dans ce moule étroit et peu attrayant de la parentalité moderne. Celui où l’on est toujours à la course entre deux routines à aller exécuter. Celui où on est englouti au point de s’oublier. J’avais peur que l'on doive troquer notre liberté contre une mini caravane remplie de ballons de soccer (je n'ai jamais compris pourquoi les gens avaient autant de ballons de soccer dans les annonces de mini caravane). Et que l'on doive se résigner à louer chaque été la même petite chambre d'hôtel à Ogunquit, parce que tsé avec des enfants, tout est biiiin compliqué... Évidemment, on avait le désir de faire les choses différemment et on en a beaucoup discuté cet été là. Plusieurs longues randonnées et conversations profondes plus tard, ma curiosité de la falaise s’était transformée en "go on le fait" parce que j’étais certaine d’avoir à mes côtés le coéquipier idéal pour plonger dans ce beau projet-là, qu’on avait choisi d’écrire avec nos propres couleurs. Puis, peu de temps après notre retour au Québec, nous nous sommes retrouvés devant le moment fatidique. Nos quatre yeux écarquillés devant un petit bâton mouillé. La suite est un peu floue, le premier trimestre m’est rentré dedans comme une grosse vague frette. Le genre de vague qu’on n’a pas vu venir parce qu’on est en train de regarder une mouette voler un sac de chips. Une grosse vague de nausées, de fatigue, et de peur aussi. Et cette impression étrange qui ne me quittait pas : celle de venir d'embarquer dans un manège et de ne pas être tout à fait prête pour le boutte où ça descend très vite même si ça faisait des heures que j'attendais impatiemment dans la file d'attente. Presque trois mois plus tard, alors que je commençais tranquillement à apprivoiser ma grossesse, nous avons appris lors de l’échographie que notre petit amour avait déjà rendu son dernier souffle, bien au chaud, dans mon ventre. Ce deuil fut la grande épreuve que j'aie eu à surmonter jusqu'à présent. J'ai longtemps pleuré mon minuscule bébé et j'ai compris, en traversant ce désert, à quel point mon désir d'enfant était plus fort que je ne le croyais. Ce tout petit ange avait ouvert mon cœur et avait fait disparaître en fumée toutes mes peurs. C'est en sentant mon ventre vide que je n'ai jamais souhaité aussi fort qu'il soit plein. Tranquillement, au fil des semaines, j'ai réappris à prendre soin de moi et de mon corps blessé, une tisane de feuilles de framboisiers à la fois. Puis à l'aube du printemps, la lumière est revenue, sous la forme d'un deuxième petit bâton mouillé, couleur promesse. Cette fois, l'incrédulité avait fait place à une gratitude infinie et à des larmes de joie qui coulaient en torrents. Ce ne fut pas une grossesse facile, car encore une fois aucun symptôme ne m'a épargné, et parce qu'une angoisse sourde régnait en toile de fond. Celle de ne pas voir naître ce petit bébé tant espéré. Mais dès les premières semaines, je sentais en moi sa présence pleine de vie, et ma reconnaissance d'avoir droit à une autre chance m'aidait à tenir le cap et à cultiver l'espoir de tous les possibles. Puis, par un lumineux matin de décembre, tu es né. Tu es né et toutes les couleurs sont devenues plus brillantes. Autant je n'ai pas tellement apprécié être enceinte, autant j'ai adoré notre postnatal. On passait nos journées collés à s'aimer et les émotions que je ressentais atteignaient des sommets vertigineux. Je me suis demandé pourquoi on ne m'avait jamais dit que ça pouvait être aussi le fun et doux avoir un bébé. On m'avait dit que je n'aurais plus de temps pour mon couple et que notre vie sexuelle prendrait le bord. Mais on ne m'avait jamais dit que cette bulle d'amour ferait grandir le nôtre, et que notre désir en serait décuplé! On m'avait dit que je n'aurais plus le temps d'avoir une vie sociale, et que les soirées entre amis prendraient le bord. Mais on ne m’avait jamais dit à quel point nos amis seraient généreux et heureux de passer du temps avec nous 3 en venant nous aider à la maison! C'est donc comme cela que l'on a passé nos premiers mois de parents. Alternant entre moments de repos pas plates du tout et moments entre amis ou avec la famille élargie. On trainait notre bébé partout: au restaurant, en randonnée, chez des amis (il est allé à son premier party à 2 mois, bien au chaud dans son porte-bébé)! J'allais faire du yoga avec lui et il est même venu assister à mon premier match d'impro de la saison. Puis, durant la semaine de relâche, on a loué un petit chalet avec des amis et on a vécu notre première escapade en tant que parents! Spoiler alert : c'était agréable et pas du tout compliqué! À un certain point, je me souviens m'être dit que ma vie d'avant ne me manquait pas, car j'avais réussi à conserver les choses que j'aimais vraiment, et à leur faire une place différemment. Sauf peut-être pour le sommeil, mon sommeil d'avant me manquait (mais ça, c'est une autre histoire)! Évidemment, je sais qu'il y a une part de chance là dedans. Mon postnatal était optimal parce que j'avais eu un très bel accouchement sans complications, que mon amoureux avait pu prendre un long congé de paternité et que nous étions très bien entourés et également bien préparés (#congeloplein). Je sais que ce n'est pas toujours le cas, et je mesure ma chance avec une immense gratitude. J'ai aussi eu la chance d'accoucher quelques mois avant le début de la pandémie de covid-19, et d'avoir pu profiter de cette fameuse liberté qu'on prend tant pour acquis, avant de vivre le reste de mon congé de maternité en confinement. Je sais pertinemment que ce fut une autre game pour les mamans qui ont donné naissance durant les pires mois de ces grands bouleversements. On en a d'ailleurs vécu les soubresauts nous aussi, et il y a eu des bouttes où ça a été un peu plus rough. Mais quand l'été est arrivé et que l'on a eu une petite trêve, on s'est dépêchés de packter l'auto et d'enchaîner quelques séjours de camping! Bon, ce n'était pas le grand voyage au Costa Rica dont je rêvais pour mon congé de maternité, mais cela nous a permis de goûter aux voyages en famille, pi ça goûtait pas mal bon! Bon bien sûr, on était un peu plus chargés niveau bagages et ça nous a pris un tantinet plus d'organisation et d’adaptation, mais en toute honnêteté, j'ai trouvé cela encore plus beau, encore plus riche, encore plus nourrissant! Puis, un soir, autour d’un feu de camp collectif, dans une auberge de jeunesse de Charlevoix, on a pu, comme avant (mais avec un bébé endormit dans nos bras), jaser jusqu’à très tard avec de sympathiques inconnus. Sympathiques inconnus qui nous ont quittés ce soir-là en nous disant qu’on était les premiers parents qu’ils rencontraient qui leur donnaient le goût d’avoir des enfants. (!!) Le lendemain, on est monté au sommet d'une montagne avec notre bébé sur le dos, et rendu en haut, j'ai eu envie de faire immense pied de nez à touuuus ceux et celles qui nous ont dit dans les dernières années “Profitez-en pour voyager maintenant, vous ne pourrez plus le faire lorsque vous aurez des enfants!”. Dans ma tête, on avait gagné. On avait catché comment être des parents ET des humains heureux et accomplis dans la même phrase. On avait juste choisi de prendre le chemin alternatif plutôt que l'autoroute. Et aujourd’hui, j'ai comme envie de dire à tout le monde que ce sentier-là existe et qu’il offre de bien beaux points de vue! Ce que je veux dire avec tout cela, ce n’est pas que tout le monde devrait voyager avec ses enfants, faire du camping, ou monter des montagnes en porte-bébé. Pas du tout. C’est simplement que tout le monde devrait essayer de continuer à faire ce qui le fait vibrer. Et tenter de faire grandir son enfant dans son style de vie, plutôt que de changer de style de vie pour fitter dans un moule qui n’a pas la forme de ses rêves. Pi ça c’est difficile, parce qu’on vit dans une société où les moules différents ne sont pas tellement mis de l’avant. Alors, osons! Pourquoi pas!? Faisons à notre tête, sondons notre cœur et inventons de nouveaux moules de parents! Laurence Stampfler
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AuteureJosiane, fondatrice du repère familial, s'amuse à venir écrire des petits ou longs textes, sur des sujets variés. CollaborationDes personnes merveilleuse qui partagent un bout de leur vie, de leur cœur, avec le repère familial. Les textes l'indiquent lorsque c'est une collaboration. Archives
Septembre 2021
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